Georges Fourest : la parodie des classiques, le Cid et Phèdre
Après sa création en 1881 par Rodolphe Salis et Émile Goudeau bd Rochechouart, le cabaret Le Chat Noir s'agrandit en s'installant 12 rue Victor Massé. Il déménagera ensuite 68 bd de Clichy. L'endroit était surtout fréquenté par la jeunesse bouillonnante, les bourgeois venus s'encanailler dont le plaisir était de se faire insulter par Rodolphe Salis. On pouvait entendre Claude Debussy mettant en musique des poèmes de Verlaine, Eric Satie y a fait ses débuts. Les peintres Steinlen, Toulouse-Lautrec, Willette, les frères Théo et Vincent Van Gogh étaient des habitués. Des poètes y disaient leurs oeuvres, et des écrivains anciens « Hydropates »ou « Parnassiens » assistaient au théâtre d'ombres d'Henri Rivière.
Georges Fourest
[Georges Fourest est né à Limoges, il fait des études de droit à Toulouse. Une première période Il érit des poèmes parnassiens (signés Georges Louyat) puis monte à Paris où il fréquente la bohème littéraire du Quartier Latin et de Montmartre. Il signera d'abord Mitrophane Crapoussin collabore au Décadent, à l'Ermitage à La plumeChat Noir quand son ami Willy devient directeur. La Négresse Blonde parait sous forme d'édition revue et augmentée en 1911 et connaît un vif succès. Il écrit un livre canular avec René-Louis Doyon, une plaquette intitulée Douze épigrammes plaisantes imitées de P.-V. Martial, chevalier romain, par un humaniste facétieux, puis les Contes pour les satyres en 1923 et son deuxième livre « officiel » Le géranium ovipare, en 1938, chez son ami l'éditeur Corti. Il est enterré au Paire Lachaise. C'est en 1909 qu'il se livre à des réécritures parodiques et ramassées des grandes tragédies de Corneille et Racine dans son Carnaval de chefs-d'œuvre (1909). Si la Parodie du Cid est très connue, celle de Phèdre l'est beaucoup moins.]
Le Cid
Le palais de Gormaz, comte et gobernador,
Est en deuil : pour jamais dort couché sous la pierre
L'l’hidalgo dont le sang a rougi la rapière
de Rodrigue appelé le Cid Campeador.
Le soir tombe. Invoquant les deux saints Paul et Pierre
Chimène, en voiles noirs, s’accoude au mirador
Et ses yeux dont les pleurs ont brûlé la paupière
Regardent, sans rien voir, mourir le soleil d’or..
Mais un éclair, soudain, fulgure en sa prunelle :
Sur la plaza Rodrigue est debout devant elle !
Impassible et hautain, drapé dans sa capa,
Le héros meurtrier à pas lents se promène :
" Dieu ! " soupire à part soi la plaintive Chimène,
" Qu’il est joli garçon l’assassin de Papa ! "
[ La négresse blonde, éditions José Corti]
Phèdre
Dans un fauteuil en bois de cèdre
(à moins qu'il ne soit d'acajou),
En chemise, madame Phèdre ,
Fait des mines de sapajou.
Tandis que sa nourrice Oenonne none eunone
Qui jadis eut si bon lait
Se compose un maintien de nonne
Et marmonne son chapelet,
Elle fait venir Hippolyte,
Fils de l'amazone et de son
Époux, un jeune homme d'élite,
Et lui dit : « Mon très cher garçon ,
Des longtemps, d'humeur vagabonde,
Monsieur votre père est parti;
On dit qu'il est dans l'autre monde;
Il faut en prendre son parti !
Sans doute un marron sur la trogne
Lui fit passer le goût du pain;
Requiescat ! Il fut ivrogne,
Coureur et poseur de lapin;
Oublier cet époux volage
Ne sera pas un gros péché !
Donnez moi votre pucelage
Et vous n'en serez pas fâché !
Vois-tu ma nourrice fidèle
Qu'on prendrait pour un vieux tableau ?
Elle nous tiendra la chandelle
Et nous fera bouillir de l'eau !
Viens mon chéri, viens faire ensemble
Dans mon lit nos petits dodos !
Hein petit cochon, que t'en semble,
Du jeu de la bête a deux dos ? »
A cette tirade insolite,
Ouvrant de gros yeux étonnés
Comme un bon jeune homme Hippolyte
Répondit, les doigt dans le nez:
« Or ça ! Belle maman, j'espère
Que vous blaguez, en ce moment !
Moi, je veux honorer mon Père
Afin de vivre longuement ;
À la cour brillante et sonore
Il est vrai que j'ai peu vécu;
Mais je doute qu'un fils honore
Son père en le faisant cocu !
Vos discours , femelle trop mûre,
Dégoûterais la Putiphar !
Prenez un gramme de bromure
Avec un peu de nénuphar!....
Sur quoi faisant la révérence
Les bras en anses de panier
Il laisse la dame plus rance
Que du beurre de l'an dernier.
« Eh ! Vas donc, puceau phénomène !
Vas donc châtré, vas donc salop,
Vas donc, lopaille à Théramène !
Eh ! Vas donc t'amuser Charlot !... »
Comme elle bave de la sorte
De fureur et de rut, voila
Qu'un esclave frappe à sa porte :
« - Madame votre époux est là !
- Théseus, c'est Théseus ! Il arrive !
C'est lui-même : il monte a grands pas ! »
Venait-il de Quimper, de Brive,
D'Honolulu ? je ne sais pas,
Mais il entre, embrasse sa femme,
La rembrasse en mari galant;
Aussitôt la carogne infâme
Pleurniche, puis d'un ton dolent :
« - Monsieur, votre fils Hippolyte,
Avec tous ces grands airs bigots,
Et ses mines de carmélite,
Est bien le roi des saligots !
Plus de vingt fois sous la chemise
Le salop m'a pincé le cul
Et passant la blague permise ,
Volontiers vous eût fait cocu:
Il ardait comme trente Suisses,
Et (rendez grâce à ma vertu)
Si je n'avais serré les cuisses
Votre honneur était bien foutu !... »
Phèdre sait compter une fable
(Tout un chacun le reconnaît)
Son discours parut vraisemblable
Si bien que le pauvre benêt
De Théseus promis à Neptune
un cierge (mais chicodondard !)
Un gros cierge d'au moins une thune
Pour exterminer ce pendard !
Pauvre Hippolyte ! Un marin monstre
Le trouvant dodu le mangea,
Puis ...le digéra, ce qui monstre
(Mais on le savait bien déjà!)
Qu'on peut suivre , ô bon pédagogue,
Avec soin le commandement
Quatrième du décalogue
Sans vivre pour ça plus longuement !
[Georges Fourest, La Négresse Blonde, 1940, Corti]
Le comique de Fourest
« Je suis mal embouché, dit-on, scatologique,
scurrile, extravagant, obscène ! ... » Et puis après ?
Pour blaguer le héros langoureux ou tragique
À moi le calembour énorme, et l'à peu près !
[...]
Mon rire, mon Public, c'est le rire sonore,
Idoine à brimbaler tes boyaux triomphants
Et qui découvrira la parure osanore
Qu'un dentiste pour toi ravit aux éléphants,
C'est le rire cachinatoire, épileptique,
Le rire vrai qui fait baver, pleurer, tousser,
Pisser, c'est le moteur du grand zygomatique
Et l'agelaste en vain tâche à le rabaisser.
Je ne diluerai pas mon encre avant d'écrire
Et je m'esclafferai cynique et sans remord,
Abandonnant aux salonnards le « fin sourire »
Et le rictus amer à la tête-de-mort !
Envoi :
Aux pieds de Rabelais, le Duc, le Roi, le Maître,
O mes pères Scarron, Saint-Amant, d'Assoucy,
Colletet, Sarrazin, daignerez-vous permettre
Qu'à vos côtés Fourest vienne s'asseoir aussi ?
Sardines à l'huile
Dans leur cercueil de fer-blanc
Plein d'huile au puant relent
Marinent décapités
Ces petits corps argentés
Pareil aux guillotinés
Là-bas au champ de navets !
Elles ont vu les mers, les
Côtes grises de Thulé,
Sous les brumes argentés
La Mer du Nord enchantée...
Maintenant dans le fer-blanc
Et l'huile au puant relent
De toxiques restaurants
Les servent à leurs clients !
Mais loin derrière la nuée
Leur pauvre âmette ingénue
Dit sa suave chanson
Au Paradis-des-Poissons,
Une mer fraîche et lunaire
Pâle comme un poitrinaire,
La Mer de Sérénité
Aux longs reflets argentés
Où durant l'éternité,
Sans plus craindre jamais les
Cormorans ou les filets,
Après leur mort nageront
Tous les bons petits poissons !...
Sans voix, sans mains, sans genoux
Sardines, priez pour nous !...